Swimrun World Championship 2018 – Ötillö
« Toujours partant pour ce genre d’aventure » – c’est à peu de chose près la réponse de Philip quand je lui ai proposé une participation à l’Ötillö. En effet, à la faveur d’un roll down aux 1000Lakes, course à laquelle j’avais participé avec Jean-Claude, on a obtenu la qualification. Jean-Claude participera plutôt à un 2e Ironman cette année. En 2016, j’avais « piqué » la place à Daniel, cette année c’est celle de Jean-Claude – pour une éventuelle prochaine fois, ça va être difficile car ce ne sont pas des triplés 😉 !
Si l’inscription est la première étape, la préparation en est la deuxième parce qu’il y a tout de même 65km de trail – alors que je n’ai couru qu’une seule fois plus de 10 km en 9 mois, à cause d’un mollet vraiment récalcitrant qui m’a pourri toute ma saison – nous avons tout de même pu placer 3 longues sorties au mois d’août qui, à faible intensité, m’ont convaincu que le mollet pourrait tenir – et 10km de natation dans une eau qui semble perdre des degrés à vue d’œil: discuter du matériel le plus adéquat, bricoler, tester, enchaîner les sections et participer à quelques compétitions pour se mettre en jambes (et ramener de beaux succès – celui de la Vallée de Joux nous a bien boosté niveau confiance!)
Et puis vient (enfin) l’objectif de la saison. Le jour précédant la course, départ au petit matin de Genève pour retrouver tous les participants à la gare de Stockholm afin de se rendre dans un hôtel plus proche du départ. L’organisation suédoise est millimétrée et permet de profiter de ces deux jours sans penser à autre chose que la course. Le briefing donne le ton – tout le monde est impatient de prendre le départ – et le stress monte d’un cran de mon côté – déjà qu’il était bien élevé… Impressionnant le nombre de champions d’Europe/du monde de tel ou tel sport et/ou olympiens présentés au briefing ! On se sent tout petits ! C’est amusant de voir que les duos se déplacent ensemble et portent soit deux sacs, deux t-shirts ou deux casquettes identiques souvent agrémentés d’un nom de sponsor… c’est vrai qu’on est au championnat du monde… Avec Philip, on ne porte ni nom de sponsor, ni t-shirt d’une quelconque course… encore un duo 😉 Au moins, pas de stress et temps perdu avec des « obligations médiatiques » !
Lundi matin, le stress de la veille a quasi disparu. On a surtout de la chance : on peut être au départ, comme prévu. 6h00, c’est parti depuis Sandhamn ! Une envie débordante de passer une magnifique journée de sport extrême ! Le temps n’a rien à voir avec la météo d’il y a 2 ans et nous sommes gratifiés d’un superbe lever de soleil pour débuter ce swimrun. Nous partons tranquillement sur ce premier kilomètre boisé – la course est neutralisée – et la mise à l’eau se fait calmement après s’être encordé.
1’750m de nage, la plus longue section aquatique de cet Ötillö, mais pas la plus tranquille ! Après avoir passé mon relais à Cendrine quelques centaines de mètres après le départ, je me retrouve pris en sandwich sans moyen de me dégager à cause de l’élastique : lunettes, plaquettes, pullboy, tout a giclé ! J’arrive tant bien que mal à remettre tout ça sans que cela ne tende trop l’élastique mais il me faudra faire la presque intégralité de cette section en serrant ma plaquette droite entre les doigts, la lanière ayant lâché ! Devant, ça tape aussi et j’essaie de nous sortir de là en accélérant, mais je suis sans cesse prise en sandwich et les plaquettes ça fait mal ! Je demande à Philip de prendre le relais, il ne passe pas et je me dis que du monde l’en empêche.
Malgré cela, nous avons nagé très vite… selon nos standards : 27 min contre 34 min il y a 2 ans ; avec des baskets aux pieds, c’est un rythme (1’33/100m) que nous n’avons jamais atteint à l’entraînement ! Vu le niveau moyen de cette course : dans la masse, quoi ! C’est un peu la cohue à la sortie de l’eau et ensuite ça bouchonne pas mal sur Vindalsö. Cendrine est à l’aise sur les rochers et me suit sans trop de problèmes ; on se permet même le luxe de dépasser des binômes en sautant sur d’autres cailloux et on s’amuse comme des gamins ! Pourtant, il faut rester prudents puisqu’il n’est pas toujours aisé de dépasser alors qu’il y a l’élastique, des coureurs sont régulièrement pris entre nous. Je découvre aussi les sorties et entrées d’eau : ça glisse de partout et on ne voit pas toujours les cailloux sous l’eau. Lors d’une sortie, je me demande comment faire tellement c’est glissant, je ne vois pas de solution… l’élastique me sauvera 😉– rien de tel qu’un peu de tir à la corde pour s’échauffer les bras ! 😉
Cet enchaînement d’îles sauvages, ces sentiers techniques, entrecoupés de natations courtes et juste incroyable ; on a une grosse pêche que ce soit dans l’eau ou sur la terre ferme. Le classement chez les mixtes oscille entre la 23ème et la 25ème place et on voit qu’on se fait souvent dépasser par les mêmes équipes sur les parties « roulantes » où l’on peut courir de manière plus rythmée. Mais qu’est-ce qu’ils font dans l’eau ? (la question inverse de celle qu’on se posait avec Gilbert il y a 2 ans ! 😉 On se tient au rythme pré-établi de 5’10-5’20/km sur les chemins larges et je m’assure souvent (trop ?) qu’on ne va pas trop vite pour éviter de griller Cendrine ! Les ravitos sont souvent passés en mode « express » ce qui me vaudra quelques remontrances (non, non je ne me prends pas pour Jean-Claude en Engadine). Partir avec le RaceBak de 1.2l sous la neo et avoir des pâtes de fruits en suffisance m’ont aidé à toujours être bien hydraté et ne pas attendre le ravito comme un mort de soif. Au 1er solide, après plus de 2h de course, je n’ai le temps que d’attraper un verre d’iso et une demi banane que Philip est déjà reparti (heureusement que j’avais pris des pâtes de fruits); la banane est mangée en courant… On est là pour quelques heures, on peut se permettre quelques secondes de plus…
On court, on s’amuse, mais tout à coup ma malléole me fait souffrir… ça me tape en descente au point de me faire lever le pied illico. Pour arranger le tout, parmi le tas de cailloux dans mes chaussures, l’un d’eux se place à l’avant et me rentre dans le gros orteil à chaque pas. Ça fait ‘aie-aïe’, aucun pas pour soulager l’autre… Quel pied! Je regarde cocotte (i.e. ma Garmin baptisée la veille;-) : 15km de course… Je m’arrêterai un peu plus tard pour enlever ce caillou et la malléole s’endormira à la faveur d’un passage dans l’eau (j’ai dû me taper quelque part). Ah ces histoires de pieds…
Avant PigSwim, je me suis fait la réflexion « déjà ? », signe que le temps passe vite et que je prends un max de plaisir ! Nous sommes à 5h09 de course soit à la minute près le même temps qu’en 2016. Je me jette dans les pieds du petit groupe mais après très peu de temps, je vois les bulles s’éloigner à mesure que mes épaules me disent qu’elles n’ont plus assez de force pour suivre ; je bats des pieds pour inciter Cendrine à passer et là j’ai compris pourquoi on avait l’élastique ! A fond à fond pour rejoindre ses baskets et détendre l’élastique ! Je vois qu’elle a fait le jump pour rejoindre le groupe et on sort de cette natation mythique de 1’400m tout de même bien refroidi.
Je l’attendais, redoutais presque cette nat et voilà qu’elle s’étend devant, plate comme une mer d’huile, elle n’a rien d’effrayant: Pig Swim! Je vois Philip essayer de prendre les bulles des filles qui partent juste devant nous sans y parvenir : je fais l’effort parce que le passer dans les bulles, ça ne se refuse pas… J’hésite même à les dépasser mais me ravise. En sortant de l’eau, je me retourne, c’est la seule fois, et me dis : « Voilà c’est fait ».
On enchaîne et à la fin d’une natation alors que Philip est prêt à poursuivre, je l’arrête : « Euh… y a un problème. Je n’arrive pas à me relever ». Bloquée, accroupie dans l’eau, les jambes ne veulent plus se tendre. Aux 1000 Lakes j’avais connu les quadriceps béton après 20km. L’entraînement a payé : ici, c’est après 40km. Il en reste 35…
Le froid a tué les quadris de Cendrine et les sections très techniques qui s’ensuivent sont très délicates avec plusieurs chutes à son actif et nous devons commencer à marcher dans les côtes. Allez, pas grave, ça va revenir. Nous sommes considérés comme des sauveurs lorsque nous indiquons le chemin à plusieurs binômes « perdus » avant de longer une île par la gauche et d’entrer dans les roseaux : on s’est perdu une fois avec Gilbert, pas deux ! Mon genou gauche me rappelle qu’il m’avait déjà fait le coup presque au même endroit la dernière fois : aïe !
« Je ne sais pas » c’est ce que je réponds à Philip quand il me demande si je veux ouvrir le dos de ma combi pour être plus à l’aise pour courir… J’ai conscience que ce n’est pas une réponse, que ça n’avance à rien mais je n’imagine alors que l’effort à fournir pour la remettre… Il l’ouvre alors. Courir en équipe, c’est aussi parfois être lucide pour deux 😉
La dernière grosse nat se présente à nous : 1’000m pour permettre à Cendrine de se refaire un moral après beaucoup de crapahutage laborieux. Philip m’a dit avoir mal aux bras, c’est l’occasion de passer devant et c’est un pur plaisir : ça file – un des ces moments pour lesquels on ne regrette pas les heures en piscine à regarder les carreaux ! Je n’ai alors pas envie de le laisser passer. Elle fera la quasi intégralité devant, revenant sur plusieurs groupes et en les laissant sur place. Waow ! J’ai plus de jambes mais les bras sont là! J’en ressors avec le sourire jusqu’aux oreilles… qui a vite disparu en me mettant debout… mais ça m’a fait tellement de bien !
Quelques petites sections techniques et c’est ensuite Örnö qui se présente à nous. 22 min d’avance sur le temps d’il y a 2 ans. Örnö c’était « en théorie » le début de notre course, celle où l’on va souffrir, s’accrocher. En pratique, Örnö, c’est la fin de notre course, au propre comme au figuré. Örnö, on pourrait écrire un roman dessus : l’ombre, les boîtes aux lettres, l’élastique,… il vaut mieux que je laisse Cendrine raconter cette aventure. A partir de là, c’est le mode « finisher » qui est enclenché.
Les sections càp sont devenues un calvaire, une agonie pour mes quadriceps et je m’essouffle bien vite… Je n’arrive plus à lever les jambes, la moindre irrégularité me fait grimacer si pas plus… et voilà qu’arrive Örnö. C’est sur cette section qu’on avait prévu de courir. C’est sur cette section que je ne peux pas courir. Je suis déçue. En y arrivant, j’essaie de me dire que ça ira mieux, elle est dite roulante et je suis convaincue que je pourrai prendre un rythme après un nouveau passage technique. 3, 4, 5kms passent… je commence à m’impatienter, ça n’arrive pas… je devrais me faire une raison: le roulant c’est ce chemin blanc sur gros cailloux… et puis c’est vallonné! – Je vais devoir lui offrir un T-shirt « T’inquiètes pas, c’est roulant » 😉– Au désespoir – mais non, mais non – de Philip (j’ai l’impression d’être un boulet – et ce n’est pas qu’une impression ;-), j’avance comme je peux, impossible de courir en montée, ni d’allonger les pas, on court en descente parce que la douleur est plus supportable. Il me dit: « c’est toi qui donne le go pour recourir ». Comment te dire? J’ai pas tellement envie de recourir, marcher je peux le faire mais courir… avant de terminer ma réflexion, j’ouvre la bouche et lance le ‘go’ sinon on marcherait toujours… Et puis on négocie sans cesse : jusqu’à l’ombre, jusqu’au panneau, comme l’équipe devant nous qui a adopté la même stratégie… ça ressemble à un jeu mais je n’ai pas envie de jouer… – pas d’humeur joueuse Cendrine…, allez faut dédramatiser ! 😉 « L’Ötillö c’est quand même plus difficile qu’un Ironman ». Le summum a été atteint. Il acquiesce et j’ajoute: « Celui qui ne me croit pas, je l’inscris direct ». Il en a déduit que j’avais des envies de meurtres… allez savoir pourquoi mais vous êtes prévenus 😉
La remise à l’eau nous fait du bien, même si elle est fraîche, d’autant plus qu’on a enlevé les manches et que nous n’allons pas les remettre. Plus fraîche, moins d’algues, plus de méduses ! Elles évoluent sous nos yeux à chaque natation depuis le départ. Elles sont magnifiques !
Sur les dernières sections ultra-techniques, j’ai les quadris qui sont également durs comme du béton, et les genoux qui crient ; je cours comme un p’tit vieux. Je suis à court de gags « à la con » pour essayer de faire sourire Cendrine et notre progression est toujours très laborieuse. Quand il me propose de réciter la Venoge, ça passe beaucoup mais alors beaucoup moins bien que pendant nos sorties le long de la rivière… Je l’entends bien me dire qu’il a mal, mais je n’arrive pas à l’encourager à mon tour 🙁
Üto, ça y ‘est ! Je motive Cendrine à courir ! Sous les 11h, ça va le faire, mais pas question de traîner en route ! (juste un petit détour par la cellule de chronométrage puisqu’on l’a raté à la sortie de l’eau) Elle me suit comme une zombie, et à mon grand étonnement, elle court ! Je ne sais pas comment je fais, aucune parole, juste l’effort, cet ultime objectif en tête, un instant hors du temps, comme suspendu, avec le temps qui compte tellement.
Philip m’a dit que les 100 derniers mètres étaient en montée. En fait, la dernière montée fait 400m, elle est juste mortelle ; on passe la ligne, heureux, détruits, soulagés. Pas de « you are an ironman » – l’accolade mythique de Michael, l’un des organisateurs, aux finishers le vaut bien ! – mais juste conscients que de finir ensemble cet Ötillö, sous les 11h, c’est juste énorme ! (30ème, pour l’anecdote).
En apparence idyllique, l’Ötillö vous prend presque par surprise: on est de suite confronté à ce terrain si particulier, bien apprivoisé par les locaux, qu’on ne retrouve pas par ici. Courir ça va, nager ça va, glisser, tomber on y est préparé mais enchaîner le tout, y ajouter les enjambées, les rochers à monter et à descendre 50-100 fois par île, c’est usant. – c’est étonnant comme le d+ de ces îles est plus fatiguant que les longues montées en Engadine par exemple ! – Ce sont ces enchaînements qui rendent cette course si particulière. Si un Ironman est éprouvant l’Ötillö est… brutal. Ici, la moindre difficulté est amplifiée et peut devenir une montagne à gravir (comme à descendre). Mais ce genre d’aventure est inoubliable et la partager la rend encore plus forte !
Certains d’entre vous le savent : en faisant de la longue distance, on se demande parfois pendant pourquoi on le fait, après la ligne on se promet de ne plus le faire et après la douche on planifie déjà la suivante… Cette fois c’est différent, en tout cas pour moi: pendant la course j’ai demandé à Philip comment il avait fait pour y revenir… après, comment on pouvait faire une chose pareille… le lendemain, j’ai promis qu’on ne m’y reprendra plus… trois jours après, on regarde comment faire pour y retourner… Ben non, en fait c’est pareil mais plus long 😉 Une semaine plus tard, il n’y a que les souvenirs positifs de cette aventure qui reste !
Merci à vous tous pour vos messages, encouragements et au plaisir de voir le plus grand nombre d’entre vous prochainement pour une initiation au swimrun 😉
Cendrine & Philip